Visions orientales by Albert Londres

Auteur:Albert Londres [Londres, Albert]
La langue: fra
Format: epub
Tags: 2016-09-14T14:34:08.477000+02:00
ISBN: 9781909053274
Éditeur: Les Editions de Londres
Publié: 2012-08-04T22:00:00+00:00

Une fête annamite.

Vous savez ce qu'est un chalumeau oxhydrique. Il paraît que cet instrument, par son souffle de feu, peut fondre le platine. En cet implacable mois de juillet, sous son ciel de mortier, le Tonkin est le père, l'étalon de tous les chalumeaux oxhydriques. Le ventilateur brasse de l'air chaud. « Plus vite ! Plus vite ! » crie-t-on au sublime pousse, mais ce n'est pas une brise qui vous frôle le visage, c'est une flamme qui vous lèche.

Ce matin, M. Monguillot, résident supérieur de ce souriant Tonkin, partait en tournée dans son empire lorsqu'il m'aperçut fondant sur un trottoir d'Hanoi. Alors, il eut la bonté de me mettre à côté de lui, en tas, dans sa voiture.

— Il fait bon, me dit-il, aujourd'hui.

— Vous trouvez ? fit le tas d'une voix qui s'éteint.

Mais réveillons-nous, nous allons voir des choses étonnantes.

Si M. Monguillot se rendait dans sa province de Son-Tay, ce n'était pas dans l'espoir d'y rencontrer des vents alizés. Il venait y visiter l'un de ses enfants, un métis : le budget communal.

— Mes chers petits Annamites, avait-il dit au gentil peuple le premier jour de la deuxième lune, vous êtes très mignons, mais il faudrait voir à mettre de l'ordre dans votre maison. On ne peut arriver à connaître l'âge que vous avez ; quant à savoir où passe l'argent de votre commune, ce n'est guère plus commode que de compter les sangsues qui s'accrochent goulûment aux chevilles quand on traverse les forêts de vos régions hautes. Vous allez d'abord vous bâtir une maison que vous appellerez d'un nom commode à dire : mairie. Dans cette maison, vous nommerez un homme sachant écrire et qui tiendra vos petits comptes. Cela vous amusera et vous rendra prospères.

Ainsi, six mois après, le grand chef blanc venait jeter un coup d'œil sur les résultats de la tentative.

C'était la fête.

Les niaknés (paysans) avaient sorti des sanctuaires et posé au bord de la route, en grand hommage, les autels sculptés et dorés. Tout l'attirail religieux était là, avec ses offrandes à Bouddha : fruits (pour qu'il se rafraîchisse), riz gluant et riz sec (selon les caprices de son goût), bétel (pour qu'il puisse chiquer), alcool (pour lui verser l'oubli), chevaux, buffles, porcs, poules en papier (dans le cas où le désir le prendrait de se promener, labourer ses champs, manger de la tête de cochon ou se confectionner un lait de poule). Il y avait aussi, toujours en papier, des barques (pour descendre les rapides), des serviteurs (pour le ventiler), des maisons (pour qu'il sache où coucher et, à la rigueur, loger ses invités), une lanterne pour ses sorties nocturnes.

Hampes piquées en terre, flottaient le long des chemins, les bordant, tous les drapeaux de pagode, festonnés de grandes dents irrégulières et portant sur leur étoffe, les hiéroglyphes au sens mystérieux.

Les lins, jeunes gardiens des langs (villages), pieds nus, mais jambières et col bleu ciel, gambadaient par-devant l'auto comme des chevreaux qui viendraient d'apprendre que, désormais, Grenoble, la ville cruelle, ne fera plus

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